JOURNAL DE CRÉATION

Entretien avec Jean-Christophe Folly
autour de la création de Sensuelle

– Mai 2020 –

Quelle est l’étincelle du projet, pourquoi écrire ce texte, pourquoi prendre la parole ?

L’étincelle du projet a eu lieu il y a quelques années en Martinique. Je travaillais comme acteur avec pour partenaire Emmanuelle Ramu et autour des ti-punchs, elle me racontait comment c’était le Théâtre à son époque, comment c’était la vie. De la liberté qu’elle avait connue, des routes, des amis qui, pour certains depuis, avaient disparu. Mais sans amertume, juste comme ça, parce que je lui demandais comment c’était avant. Je lui parlais je ne sais pas pourquoi d’ Emmène-moi au bout du monde de Blaise Cendrars : cette comédienne de 80 ans qui va au bout de sa vie et de ses désirs. Et ça a fait son chemin…

L’idée, c’était de parler d’une femme de soixante ans qui a tué un homme de la moitié de son âge parce qu’il lui a dit « t’es plus sensuelle ». Au début c’était ça.

Et puis après, très vite, il a été question de cette femme qui parle d’une époque où les hommes ne lui auraient jamais dit ça.

Puis de sa fille qui n’a pas connu la même époque.

Puis du compagnon de la fille, qui n’a pas les mêmes bagages sociaux.

C’est Mai 68, la génération Sida et la post-colonisation.

Trois mondes qui ne se rencontreraient jamais.

Qui boivent ensemble du Sancerre sur un plateau et qui discutent, autant que faire se peut.

Après ton premier texte Salade, Tomate, Oignons, pourquoi ce titre Sensuelle ?

Ce mot Sensuelle, je ne sais pas d’où il vient. L’idée n’est pas du tout de faire un spectacle sur la sensualité des femmes ou sur la sensualité des hommes. Je ne me sens pas la légitimité de décrire quoique ce soit là-dessus. Ceci dit, les questions de Genre me préoccupent de plus en plus. Du coup, qu’est-ce que ça évoque la sensualité chez les gens ? Quand on dit le mot Sensuelle, qu’est-ce qui se passe chez les gens ? À quoi ça fait écho ? Ça, ça m’intéresse. Ce truc impalpable que les gens ressentent quand ils entendent ce mot, j’aimerais bien le saisir. Sensuelle. Au féminin. Qu’est-ce que devient ce mot quand on le laisse infuser chez une femme sexagénaire, chez une femme quadragénaire, chez un homme trentenaire ? C’est ça qui m’intéresse. La sensualité chez les comédiens avec qui j’ai envie de travailler. Mais au sens de la pudeur surtout.

Oui, au fond, c’est un spectacle qui pourrait s’appeler Pudeur.

“Ce truc impalpable que les gens ressentent quand ils entendent ce mot, j’aimerais bien le saisir”

Quel est le propos du spectacle ?

Il n’y a pas de propos en tant que tel. Un pitch à la rigueur…

Le huis-clos d’une femme, de sa fille et de son gendre ; qui attendent que la Police vienne embarquer la mère coupable d’un crime.

Ou alors…

Trois personnes que rien dans la vie n’était censé lier et qui se mettent à faire un brin de causette. Trois êtres qui sont sur Terre en même temps et qui vivent la vie de manière foncièrement différente mais qui là, sont amenés à discuter.

Bref, le propos est encore trouble…

Ceci dit, au départ, encore une fois, c’était l’histoire d’une femme de soixante ans qui tue un homme de trente ans au comptoir d’un bar, parce qu’il lui dit qu’elle n’est plus sensuelle.

Parle-nous de ton choix de réaliser la mise en scène et de ne pas être présent au plateau ? Qu’est-ce que cela implique pour toi ?

Avec Salade, Tomates, Oignons, j’ai découvert l’écriture théâtrale. J’ai aimé travailler le texte pour m’y sentir le mieux possible, tout en gardant (tout en essayant de garder) l’exigence de l’enjeu. Au tout départ, je voulais déjà mettre en scène Salade, Tomates, Oignons et ne pas jouer dedans. Mais, n’ayant jamais réellement dirigé quelqu’un, j’ai préféré apprendre sur moi-même avant de diriger les autres. C’est un équilibre excitant de se sentir convoqué par le texte et en même temps de devoir aller quelque part, sortir de soi. Il y a à la fois un confort absolu et un inconfort véritable. C’est ce que j’ai ressenti sur le plateau. J’aimerais tenter de le transmettre aux comédiennes et comédien avec qui j’ai choisi de monter ce spectacle. Leurs trois natures, les faire se rencontrer et qu’il se passe quelque chose.

Parle-nous du dispositif scénique que tu imagines ?

Pour l’instant, le seul dispositif existant c’est qu’il y a deux comédiennes et un comédien qui jouent trois personnages.

– SENSUELLE (alias Maryse Destourtreux) : jouée par Emmanuelle Ramu

– BRANCHE (fille de SENSUELLE entre autres choses) : jouée par Camille Nesa

– CHARLES-ÉTIENNE (compagnon de BRANCHE entre autres choses) : joué par William Edimo

Le dispositif c’est eux.

Selon la manière dont ils vont dire le texte et se mouvoir, il va bien falloir découvrir qu’il nous faudrait une chaise ou un micro ou un canapé ; ou les trois.

Mais partir d’eux, de ce qu’ils ressentent en tant que comédiennes et comédien et voir ce qui vient.

Mais si je suis vraiment honnête, je vois quand même une télé à tube cathodique sur le plateau, que SENSUELLE regarderait de manière compulsive ; pour ne pas écouter ce qu’on a à lui dire, pour ne pas voir ce qui vient, pour ne pas regarder la vie qui est en train de changer.