JOURNAL DE CRÉATION

Entretien avec Jean-Christophe Folly
– Février 2018 –

Pourquoi le titre Salade, Tomate, Oignons ?

Au départ, j’ai remarqué que l’idée d’une trinité est inscrite dans notre pays.

Que ce soit le Bleu Blanc Rouge ou le Liberté Égalité Fraternité ou le Black Blanc Beur lors de la Coupe du Monde 1998. Cependant, je remarque que personne ne s’y retrouve vraiment. Chacun questionne ces formules; alors que j’ai l’impression que beaucoup de gens se reconnaissent dans la formule Salade, Tomate, Oignons.

Au-delà du titre provocateur, c’est l’idée d’unité qui me plaît dans ce titre.

On retrouve dans les restaurants Kebab des Noirs, des Arabes, des Asiatiques, des Blancs. De tout, comme on dit. « De tout », c’est aussi ce qu’on répond au gars qui fait les Kebab, quand il demande « salade, tomate, oignons ? », c’est ce qu’on répond quand on est vraiment seul et que le soir, notre haleine ne dérangera personne.

Quel est le propos du spectacle ?

La première mouture de Salade, Tomate, Oignons se voulait la rencontre entre deux êtres issus de la même éducation mais qui ne l’ont pas digérée de la même manière et qui se retrouvent face au mur de l’Autre. L’un a voulu perpétrer les leçons reçues des parents. L’autre s’en est défait.

Cependant, les premières résidences ont mis en évidence la possibilité d’une mue du personnage initial qui, à la vue du second personnage, le devient. Passer de l’homme à la femme pour finir par être tout simplement. Au fil du texte le personnage recouvre une deuxième peau avec toutes les particularités de cette nouvelle apparence.

Aujourd’hui, je dirais que Salade, Tomate, Oignons parle d’une personne dans un restaurant Kebab. Cette personne qui ne tient qu’à un fil au début du spectacle, lâche ce fil pour en quelque sorte démarrer la vie.

Résidence de Salade, Tomate, Oignons – 2018

Comment le texte se déploie-t-il ?

Au départ, il n’y a pas d’idée de structure. Juste l’envie d’entrer dans la tête de quelqu’un qui ne parle pas ou que personne n’écoute. L’envie, par un moyen artificiel, de rendre le « muet » bavard. Il n’y a pas de structure mais un texte m’a beaucoup marqué quand j’étais plus jeune. C’est La Nuit juste avant les Forêts de Bernard-Marie Koltès. Une phrase d’une cinquantaine de pages. Un point à la fin et ça parle, ça parle, ça parle. J’avoue que c’est un texte que je n’ai pas relu, que je n’ai jamais osé relire mais sa structure, je ne l’ai pas oubliée. Dans Salade, Tomate, Oignons, il y a un souci de la ponctuation, quand tout peut exister sauf le point. Les personnages se débattent pour que la Parole ne s’arrête pas. Si elle se tait, elle ne renaîtra plus. Impossible de ne pas penser à ces personnes qui vous hèlent dans la rue, le métro ou un bar et qui vous parlent. Comme si vous étiez un vase et que leurs mots étaient de l’eau (ou l’inverse). « Il faut qu’ils vous remplissent ». Alors ils parlent, ils parlent. Ils s’accrochent aux pulls, aux coudes, ils cherchent le regard, l’approbation, l’amitié, l’amour. J’en ai rencontré de tous les sexes, de toutes les couleurs de peau, tous les âges. Et c’est là que ça devient intéressant. Cette idée un peu farfelue, grotesque même mais que j’aimerais creuser que, plus la solitude est grande, plus la notion de race, genre, âge, disparaît. Le besoin de parler à l’Autre est une soif et quand on a très soif, on oublie l’étiquette de la bouteille. On boit. Les personnages parlent à ce qu’ils reconnaissent d’eux dans l’Autre. Et ça leur suffit.

Le travail au plateau a néanmoins révélé une prise de parole différente. Quand Lui parle sans s’arrêter entre virgules, points-virgules, guillemets, etc… Elle parle plus en salves, toujours à la ligne et la ponctuation a disparu.

Vient ensuite la partie dite Montrouge, la troisième et dernière partie du texte. C’est aussi une possible ouverture sur autre chose.

« Il y a un narrateur qui raconte sa rencontre avec une femme dans un Kebab.
À force de raconter cette femme, il finit par la devenir.
Il y a donc deux personnages ou un seul, libre à chacun d’en décider. »
– Jean-Christophe Folly

Lors de la transposition du texte au plateau, comment la collaboration avec Emmanuelle Ramu s’est-elle organisée ?

Emmanuelle m’accompagne en tant que regard extérieur. Elle me fait des retours sur le jeu mais son rôle ne s’arrête pas là. Elle m’aide à mieux comprendre ce que je veux montrer au plateau. Il était hors de question pour moi de faire face à ce projet tout seul et Emmanuelle Ramu (qui est au départ une partenaire de jeu avec qui j’ai travaillé sur cinq spectacles) a toute ma confiance pour cette entreprise épineuse qui consiste à traduire le texte en spectacle.

Parlez-nous du dispositif scénique ?

Il est difficile de parler de dispositif scénique ou même de décor avant d’avoir vraiment éprouvé le texte sur le plateau.

Pour l’instant, il n’y a pas de décor précis. Les premières résidences ont abouti à une volonté de situer l’action du spectacle dans un restaurant. Il y aura peut-être une table. Une nappe, une carafe d’eau et une corbeille de pain.

Nous allons nous munir d’un micro en pied et d’une chaise. La chaise, parce qu’on est au restaurant. Le micro parce qu’il y aura au moins un passage chanté. Le dispositif scénique est très léger et épuré. La musique tiendra une place particulière dans ce spectacle. Je ne veux pas qu’elle soit trop présente mais elle doit se manifester dans les moments où les personnages n’ont plus les mots pour dire, si bien qu’ils se mettent à chanter.

Le dernier élément indispensable sur le plateau est la Valise. Elle est présente dans ma tête depuis le début. Comme un troisième personnage non narré mais qui est toujours là.

Je la vois même à l’avant-scène.

Mais pour l’heure il m’est difficile d’expliquer pourquoi.

J’imagine le public face à l’acteur. Pas envie de bi ou tri ou quadri frontal. Le public est l’interlocuteur, comme on parle à quelqu’un. Et quand on parle à quelqu’un, on lui parle dans les yeux. Donc, le public est face au comédien.

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